Nazar (fragment)

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Dans « La thérapie du docteur B. », des patients plus égarés les uns que les autres défilent dans le cabinet tenu par le remplaçant du docteur B. Comment le remplaçant va-t-il gérer des situations délicates ? Mais au fait, pourquoi remplace-t-il le docteur B ? Voici le début de la nouvelle.

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La thérapie du docteur B.

– Regardez Docteur. La peau et les os. Vous allez voir, la pauvre, elle va s’effondrer, affirmait une voix aigüe. Elle mesure 1,65m et elle pèse seulement 55 kg.

– Samuel Pardo leva un regard fatigué par-dessus les tas de papiers et les boîtes de médicaments (ceux que le représentant venait de lui apporter) qui envahissaient son bureau de façon désordonnée, pour ne pas dire anarchique, à côté de l’ordinateur et du téléphone. Devant lui étaient assises ses premières patientes, la mère et sa fille. Au premier coup d’oeil, on percevait une différence notable de poids et de caractère. Mercedes Sanchez s’étalait sur deux chaises entières et partageait la troisième avec sa fille. Lola, 14 ans, ne disait rien et semblait quelque peu absente. Elle était mince mais sans exagération. Bien proportionnée.

– Je pense qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. 55 kg pour 1,65m, c’est dans la norme.

– Mais qui est-ce qui établit des normes pareilles ? Moi je sais bien comment ma fille devrait être. Quand je ne mange pas, je suis agressive et malheureuse et je vois bien que c’est pareil pour ma fille. C’est pour ça que je suis venue. Pour que vous l’aidiez.

– Bien sûr. Je suis là pour ça. Je dois vous dire que je remplace le docteur Bello pour deux semaines pendant ses congés. Est-ce que votre fille prend actuellement des médicaments ?

– Vous pensez que je vais lui donner de ces saloperies ? Docteur, aujourd’hui, tout le monde veut nous empoisonner. Et pourquoi ? Pour l’argent, l’argent. Il n’y a que ça qui compte. Il faut voir cette ruée vers les pharmacies. Et si on ajoute encore Internet, là y a de quoi devenir marteau. Mais moi, je préfère les produits écologiques et biologiques. Et vous voyez le résultat. Je me porte come un charme. Ce n’est pas comme elle qui ne veut pas manger. Et à cause de ça, elle est toujours triste, absente, comme si elle était à moitié vivante. Je vous le dis, Monsieur. Il faudrait qu’elle ait faim.

– Lola- Pardo s’adressa à la jeune fille. Est-ce que tu fais du sport ? Tu cours, tu nages, tu vas dans une salle de gym ?

– Non, je ne fais rien. Et de toute façon, ça ne te regarde pas…

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Un tout autre registre nous attend avec « En plein vol ». A la recherche du buzz qui va faire vendre son journal, Thierry, un journaliste ambitieux se retrouve plongé dans des situations rocambolesques. Le buzz va effectivement arriver mais pas du tout là où Thierry l’attendait.

En plein vol

A la réception de l’ambassadeur, comme d’habitude, tout était impeccable, délicieux et on s’ennuyait ferme. Les invités piétinaient copieusement la pelouse fraîchement tondue. Ils admiraient les roses en dégustant du champagne et discutant en français ou en anglais. Le monde devenait fou mais la majorité d’entre eux n’avaient pas de souci à se faire. Avec leur comptes bancaires sécurisés, leur réseau de contacts à toute épreuve et cette aptitude extraordinaire à s’adapter, ils pouvaient dormir tranquilles. Toutefois, il fallait qu’ils manifestent leurs préoccupations à propos de l’évolution du monde, ne serait-ce que pour montrer qu’ils étaient bien informés. Cela leur permettait d’émettre des avis autorisés et de se sentir au-dessus de la masse. Parmi les invités, des ambassadeurs ou consuls venus avec leurs collaborateurs, un conseiller commercial, deux ex-ministres, quelques députés européens et même un commissaire européen autour duquel gravitait avec complaisance un groupe d’eurocrates et de lobbyistes. Tous étaient inscrits sur le carnet d’adresses mails de l’ambassadeur établi avec soin selon l’étiquette par la secrétaire d’ambassade. Marie-Madeleine ne péchait pas par sa beauté, ce qui chagrinait l’ambassadeur et l’obligeait à trouver consolation dans les bras des stagiaires.

Le maître des lieux ne connaissait pas tous ses invités. Cela lui était parfaitement égal du moment qu’il était en mesure d’identifier les personnages importants à ménager. Occupant un poste prestigieux et, proche de la retraite, l’ambassadeur voulait laisser bonne impression de sa longue carrière diplomatique que beaucoup lui enviaient. Quelle que soit la couleur du gouvernement, il s’était toujours accommodé sans difficulté. Un vrai diplomate !

Conscient de ses devoirs, il montait la garde à l’entrée. Il était de bon ton de saluer les invités qui entraient et sortaient. Comme ils n’arrivaient pas tous en même temps, parfois les entrants se mêlaient aux sortants.

Thierry crut apercevoir un banquier qu’il avait pris en photo quelques semaines auparavant. C’était lui qui avait efficacement conduit à la ruine une des plus grandes banques du monde. Puis il avait tiré sa révérence avec un parachute doré de quatre millions d’euros. Grâce à cette modeste somme, il avait acheté une luxueuse villa sur la côte d’Azur avec vue sur la mer. N’avait-il pas besoin de quiétude pour retrouver goût à la vie après une période difficile ! Pendant des années, il s’était dévoué pour faire prospérer les finances d’autrui ! Et tout venait de capoter à cause de spéculateurs et autres salauds. Thierry n’avait plus de doute. C’était bien lui. Il reconnaissait son profil et son regard fuyant. Il fonça pour lui tirer les vers du nez…